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Histoire d'une épopée

2CV
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J'ai 64 ans — et la chance par rapport à nombre de mes consœurs de n'avoir jamais quitté la famille qui m'accueillit le 5 avril 1960. J'ai été immatriculée XX XX XX le 29 mars 1960. Le procès verbal de réception établi à la sortie des usines André Citroën a été signé par M. Flageolet, ingénieur des Mines, comme toutes les 2CV de ma génération. Mon certificat de conformité précise que je suis le numéro 2259-522 dans la série type. Avoir une 2CV à l'époque n'était pas chose aisée : il fallait attendre deux ans et demi à trois ans. Comme un contrat de vente avait été racheté, l'attente ne fût que de dix-huit mois et j'étais de la couleur espérée : bleu glacier.

Je fus baptisée comme il se doit avec champagne et dragées en compagnie d'une Aronde Simca Élysée bleu princesse. Quelle fête ! Depuis ce jour, je porte le nom de « Cadichonne », puisque mon porte-bonheur est la première peluche de ma petite maîtresse, Cadichon, un petit âne gris comme celui de l'écrivain Colette. Ma vie dès lors fut rythmée par celle de ma famille dont j'ai toujours été considérée comme un élément à part entière.

64 ans, c'est long pour une petite 2CV ! Mais que d'événements jalonnent ces années heureuses : voyages et aventures diverses, quelques accrochages, beaucoup de crevaisons et le bonheur d'avoir connu les routes de France quand les camions étaient encore patauds, que les automobilistes étaient plus courtois et moins pressés. Les mois de juillet et d'août n'avaient rien de la transhumance actuelle. On pouvait encore musarder, s'arrêter, admirer, respirer enfin et profiter de la joie de découvrir nos belles routes nationales bordées d'arbres centenaires que la vitesse excessive et l'imprudence n'avaient pas encore condamnés à la tronçonneuse.

Je fus souvent conduite sur les routes du Sud de la France, la vallée du Rhône, Toulouse, la Vendée où j'ai passée pendant six ans mes vacances. J'ai connu aussi l'Espagne en franchissant bravement les Pyrénées à Cerbère. La chaleur sèche du Midi m'a toujours donnée des ailes : mon moteur tournait joyeusement comme une horloge. Je n'en dirais pas autant de la pluie et de l'humidité que je déteste encore et qui m'étouffent.

Ma jeune maîtresse et son mari partis en Haute-Saône, c'est là qu'en 1973 j'ai eu mon premier lifting : peinture fabriquée pour moi à Belfort, révision de ma carrosserie par un ancien officier de cavalerie « dingue de 2CV » et révision du moteur par un concessionnaire Ford — horresco referens — amoureux lui aussi de mon fameux bi-cylindre. Mon retour dans la Loire fût triomphant !

Les années qui suivirent me transformèrent en landau — c'est normal pour une voiture à capote !, car ma maîtresse devenue deux fois grand-mère profitait beaucoup de ses deux petits-fils. Couffins, poussette, biberons dans des paniers, jouets, tricycles, etc., n'avaient plus de secret pour moi. Babilles joyeuses, questions, chansons et histoires emplissaient mon habitacle. Quelle période heureuse et vivante ! Ensuite, ma vie fût plus calme : moins de longs voyages mais beaucoup d'accompagnement à l'école, au collège, aux diverses activités que ces deux jeunes garçons avaient en quantité.

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Première sortie à la lumière !

Un accrochage plus important stoppa net ma carrière. Qu'allais-je devenir ? La famille unie ne me laissa pas tomber et ces deux grands gars avec tendresse, amour, compétence et énergie ont procédé pendant seize mois à la totale remise en état de mon « anatomie ». Tant pis pour ma pudeur de vieille dame, je fus entièrement désossée, disséquée, auscultée et que sais-je encore... Le découragement parfois, les contre-temps, la chasse aux pièces détachées, la quantité de vêtements tachés et graisseux (ça, ma jeune maîtresse n'aime pas du tout !) n'entamèrent pas leur volonté de mener ce courageux défi à son terme. Et c'est en mai 2003 que je suis sortie de mon garage presque comme au premier jour, avec l'histoire de ma réfection sur Internet, photos à l'appui.

Voici quatre générations que je transporte et que j'aime. J'attends de « pneu ferme » la cinquième ! Je me sens prête à recommencer, en allant moins loin bien sûr, mais avec autant d'ardeur. Quelle belle vie ! Je me souviens du jour où j'ai crevé sur la promenade des Anglais à 17 h... Mais ma jeune maîtresse avait vingt ans et très vite, des mains masculines et galantes opérèrent le changement de roue : ce fût très agréable... Le voiturier d'un grand restaurant sur les hauteurs de Nice n'avait jamais dû conduire de 2CV, mais je fus garée comme il se doit, à côté des grosses cylindrées anglaises et italiennes, finalement banales dans ce genre de lieu et c'est moi qui était la plus regardée ce jour-là.

Je pourrais encore vous raconter tant de choses. Je termine cette histoire par le dernier événement de ma vie : la famille s'est agrandie puisque l'on m'a offert une petite sœur de vingt ans baptisée « Trottinette »...

Texte paru dans La 2 Pattes (n°142, fév. 2004),
bulletin mensuel du Club des Amis de la 2CV.

Histoire d'une renaissance

Vous pouvez aussi découvrir la rénovation de « Cadichonne », réalisée durant les années 2001-2003.

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Dernière modification : 2013-08-18